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Engagement et reconnaissance

La qualité de vie au travail (QVT) est entrée de plain-pied dans le fonctionnement des entreprises et des collectivités publiques, territoriales ou associatives qui visent un développement épanouissant au travail pour leurs salariés ou leurs agents. L’objectif est louable. Il cherche à gommer les affres des 20 dernières années où la souffrance au travail faisait la une de l’actualité. À cette époque, elle jetait à la face du monde les suicides qui survenaient au sein d’organisations qui pourtant semblaient bien sous tout rapport.

Sous l’essor de l’ANACT, repris ensuite par les organisations syndicales et patronales, la QVT a creusé son sillon dans le privé par l’accord interprofessionnel (ANI 2013) et dans le public (2015) par un large débat en vue d’un accord entre les organisations syndicales et les administrations, et, même si ce dernier n’a pas été ratifié pour des raisons politiques et non pour son contenu partagé par tous, il est développé à chaque fois que possible.

Les guides, les rapports, les baromètres sur la QVT fleurissent dans cette seconde décennie du siècle. Ils présentent moult propositions, exposent des analyses pertinentes, suggèrent des actions innovantes, bref affichent une technicité ambitieuse avec la volonté de s’adresser à tous.

Parfait mais ! Car il y a un mais ! A qui s’adresse la Qualité de Vie au Travail ? La réponse contenue dans chacun des accords est : à tous. De « tous », nous glissons facilement « à tout le monde » et de « tout le monde » nous pénétrons alors la sphère de l’indéfini, c’est-à-dire l’individu lambda. Or, la qualité de vie au travail est une notion qui doit prendre en compte la singularité dans un traitement collectif. Autrement dit, non plus envisager l’individu mais la personne.

Cette réflexion pose la question de comment pouvoir s’extraire de cette notion d’individu pour la transformer en concept de « personne » ?

La classification standard des individus dans une organisation

Le bilan social a décidé du découpage de la population au travail dans une organisation. Ce découpage correspond au mode de fonctionnement de l’organisation et répond pour l’essentiel à ses besoins. Il a une vocation statistique en définissant trois grandes variables indépendantes auxquelles sont associées des variables explicatives, elles-mêmes indépendantes. La description de la population à l’aide de l’ensemble de ces variables vise des enjeux économiques et sociaux de type macro à la seule fin d’une connaissance statistique. La population est un objet d’analyse en termes de comparaison et d’évolution.

Les trois variables indépendantes sont l’âge, le sexe, l’ancienneté. Elles sont alors croisées avec deux autres variables indépendantes que sont la classification d’emplois : cadre dirigeant, cadre, ouvriers, employés et le statut temporel : permanent (CDI plein ou partiel) ou occasionnel : CDD, intérim, stagiaire.

Cette classification générale, qui peut selon les bilans sociaux subir quelques variations en détaillant des classes (âge, ancienneté ou cadres dirigeants, cadres intermédiaires, de proximité) se résume dans le tableau ci-dessous. Y sont alors associées des problématiques spécifiques qui ouvrent sur des actions à caractère général de QVT qui concernent pour l’essentiel les salariés ou agents sous contrats à durée indéterminée (ou fonctionnaires). Peu, voire pas d’actions QVT concernent les salariés en contrats à durée déterminée.

Classification standard des individus dans une organisation

Variables Sexe Age Ancienneté Problématiques associées
Femmes Hommes Jeunes Seniors Nouveaux Anciens
Encadrement             Salaire
Maîtrise             Management
Employés             Confort de travail, télétravail, RPS
Ouvriers             Risque professionnel, TMS
Problématiques associées Egalité salariale, harcèlement   Formation Usure Intégration Usure  

Ce choix de présentation sectorisée de la population au travail induit les actions QVT. Elle peut même avoir un effet contre-productif au sens où ce découpage type finit par s’effacer lors des conduites d’actions. Seules restent sur le devant de la scène les actions, puisque par définition, elles s’adressent à tous en général et à personne en particulier, sans cible précise. Ce phénomène existe déjà à propos de la prévention de risques professionnels. On oublie trop souvent que le libellé exact de ce thème est « la prévention des risques professionnels des salariés ». Dans un raccourci langagier, le terme « salarié » disparaît, ôtant ainsi l’aspect humain des actions et par la même, renforçant leur aspect purement technique.

Pour développer la Qualité de vie au Travail, il ne s’agit pas de sombrer dans le même piège et donc de ne pas oublier pour qui, et à qui, s’adressent les actions menées. La définition des cibles est capitale. Elle donne sens à l’action et distille de la reconnaissance auprès de ceux qu’elles visent.

Une nouvelle représentation de la population au travail pour la QVT

Aborder le sujet de la QVT suppose une attention poussée aux situations personnelles. L’utopie de l’objectif est de faire en sorte que chaque personne se sente bien et en permanence dans son équipe, dans son travail, bref dans sa vie professionnelle. Il s’agit d’une intention managériale très ambitieuse et qu’il faut soutenir. L’objectif est de tourner la page à un passé où les accidents du travail puis les maladies professionnelles et enfin les suicides ont jalonné l’histoire des organisations du travail des deux derniers siècles.

Pour l’employeur, avant de se lancer dans des thématiques et des actions superficielles susceptibles d’échouer sur la durée, il y a lieu de bien connaître « sa » population. L’observation ethnographique est requise. Les demandes d’un « mieux être au travail » sont insuffisamment analysées. Relayées et transformées en revendications par les organisations syndicales, évoquées ponctuellement par les médecins du travail ou de prévention, parfois traitées en catimini par les encadrants, elles font peu l’objet d’une analyse approfondie dans l’organisation.

Être mieux au travail se traduit chez les salariés ou les agents publics par un besoin de desserrer un carcan organisationnel dans leur travail et dans leur vie de tous les jours. Le développement des actions autour du thème de l’équilibre des temps de vie professionnelle et de vie privée ne répond que partiellement à cette problématique. Le temps n’est pas la seule composante de l’équilibre. Si l’employeur est censé bien connaître les carcans généraux de son organisation, dans la réalité il ne maîtrise pas toujours ceux qui s’installent dans le quotidien du contenu du travail de chacun. Déjà, rien qu’à ce niveau, des progrès sont à envisager pour parfaire sa connaissance des contraintes du travail de chacun. En revanche sur les aspects vie privée de ses salariés ou agents, il n’a à sa disposition que des bribes éparses d’informations.

Or, assoir une politique de QVT ambitieuse, demande à documenter cette connaissance. L’opération est délicate. Il ne faut pas franchir la ligne rouge d’une intrusion dans la vie privée des personnes même si, de bonne foi, l’organisation pourrait les aider et les soutenir pour concilier leur vie privée avec leur vie professionnelle.

Les enquêtes, les statistiques générales sur les évolutions sociétales pénètrent les organisations. Il s’agit alors de recouper ces indices avec des remontées d’informations internes produites ou connues par les managers, les préventeurs, les assistants sociaux, les médecins du travail ou de prévention, les organisations syndicales.

Certaines familles de population sont par exemple répertoriées : les personnes handicapées, les Elus républicains, les représentants syndicaux hors les murs, demain les aidants familiaux. D’autres ne le sont pas. Peu importe que leurs noms ne soient pas connus, ce qui importe est que leur caractéristique soit, elle, Reconnue. C’est ainsi que le concept de « personne » s’imposera sur celui d’ « individu ». Les actions inscrites dans le projet QVT doivent s’adresser à ces personnes, le retour envers l’organisation n’en sera que plus fort.

Sans qu’elle soit une norme ou un modèle, nous avons identifié plusieurs typologies de population pour lesquelles la QVT signifie beaucoup.

  • Les personnes handicapées. La reconnaissance RQTH filtre les personnes inscrites dans un dispositif social éprouvé. La réglementation organise les mises au poste, les conditions de sécurité, contraint les organisations à des aménagements de locaux et plusieurs autres dimensions. Cependant dans une organisation, il existe aussi des « handicapés temporaires » de toutes sortes. On pourrait penser que selon le principe du « qui peut le plus peut le moins », la situation générale répond à la situation particulière. Ce n’est pas toujours vrai.
  • Les Élus républicains : des mesures sont prévues pour permettre à l’Élu de s’absenter pour répondre à ses obligations. La loi est générale, la vie d’un Élu, en particulier d’une petite commune, le place régulièrement dans des situations intenables face à des exigences non programmées. On pourrait aussi ajouter dans cette population les responsables associatifs qui s’investissent dans la vie des concitoyens et qui eux aussi jonglent avec leurs activités professionnelles mais sans avoir le filet protecteur prévu pour les Élus républicains.
  • Les aidants familiaux et les familles monoparentales. La société évolue, les compositions familiales sont bouleversées, les exigences de présence auprès des personnes de son environnement familial sont de plus en plus fortes. L’injonction paradoxale entre le souci vis-à-vis de ses proches, parents, enfants ou conjoint hospitalisé, et son implication dans son travail ronge bien des personnes au quotidien.
  • Les personnes atteintes d’une maladie chronique évolutive. Il n’y a pas si longtemps, une personne atteinte d’une pathologie de ce type, ne revenait pas au travail. Grâce à de multiples progrès scientifiques, désormais les retours au travail sont possibles, encouragés et d’une certaine manière, participent si ce n’est, à une reconstruction tout au moins à mieux vivre. Cependant ces pathologies restent lourdes à porter pour les personnes concernées. L’organisation doit en tenir compte.
  • Les personnes usées professionnellement. Chaque organisation repère en son sein des personnes que les années de travail ont épuisé soit physiquement (nombreux arrêts de travail au cours de la carrière par exemple) soit psychiquement car les conditions du relationnel quotidien étaient très dures à assumer.
  • Les personnes fragiles par leur situation et qui ont subi un évènement traumatique intense tel qu’un décès d’un proche, d’un collègue, une agression physique, un divorce, une faillite familiale... Cette population, si elle n’est pas éphémère, est en constante mouvance. On peut aussi reconnaitre dans cette population les personnes isolées dans leur travail pour lesquelles le lien avec leurs collègues de travail est ténu ou inexistant.
  • Les personnes stigmatisées. Il s’agit d’une population de victimes : les femmes atteintes par des agissements sexistes, des propos homophobes, les victimes d’agressions verbales ou physiques à caractère racistes, les victimes de moqueries vis-à-vis de leur physique…

Ce descriptif de la population au travail guide vers des actions novatrices en matière de QVT. Elle ouvre un champ des possibles considérable quant aux initiatives à prendre. Le dialogue social, l’échange avec les managers, l’écoute des services RH, le rapport du médecin du travail ou de prévention devraient permettre de cerner les besoins et les demandes de ces populations. Un accord d’entreprise sur certaines dispositions facilitant la vie de ces personnes pourrait alors être négocié.


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