Que le lecteur nous pardonne, cet article débute par l’évocation d’une histoire. Celle de Mr-Shm.t, ouvrier du bâtiment en Egypte. En ce mois de Mars, période de forte prévalence de nombreuses affections pulmonaires et gastro-intestinales, Mr-Shm.t est malade. Depuis deux jours, il n’est pas allé travailler. C’est assez habituel dans le métier; le gouvernement, qui est son employeur, contrôle donc assez précisément les motifs des absences mais maintient le salaire de ses ouvriers lorsqu’ils sont malades. Il leur offre également la possibilité d’aller consulter gracieusement un médecin.
Cette fois cependant, les choses sont différentes : l’absence a pris une ampleur exceptionnelle. Les travaux ont pris beaucoup de retard, et l’aile gauche du bâtiment a progressé beaucoup moins vite que l’autre. Le conducteur des travaux a donc demandé aux ouvriers de retourner travailler, même à ceux malades. Mr-Shm.t s’est donc exécuté. Toutefois, malgré deux jours de repos supplémentaires, il n’y parvient pas. Il s’est rendu sur le chantier mais le contremaître l’a finalement renvoyé. Prudemment d’ailleurs : le travail en espace confiné est propice à la contagion. Mr-Shm.t restera finalement chez lui pendant neuf jours, le temps de recouvrer la santé.
Cette histoire est banale ; elle ne devrait probablement pas servir à l’introduction d’un article qui se voudrait sérieux. Mais elle est gravée en creux sur 69 ostrica analysés par Austin (2015) (1) et retrouvés à Deir-el-Medina. Elle se déroule pendant le Nouvel Empire (1550 à 1080 avant Jésus-Christ), et Mr-Shm.t construit les tombes de la vallée des Rois.
Nouveau cadre, pratique ancienne
Bien qu’ancienne donc, cette histoire se révèle d’une surprenante modernité. Elle évoque les problématiques autour de l’absence que rencontrent bon nombre d’organisations aujourd’hui : l’ampleur du phénomène, les mesures de préservation mais aussi de contrôle et d’incitation au travail qu’elles peuvent prendre en réponse à l’inflation des absences, et les conséquences que ces mêmes mesures peuvent avoir sur le rapport des salariés à l’absence. On en vient même à se demander ce qui a véritablement changé au cours de ces 3500 dernières années d’histoire sociale…
Le droit ! En contractualisant la relation de travail, et en élargissant les droits des salariés, la société « moderne » a voulu simplifier et dé-dramatiser la relation que nous entretenons avec le travail pour nous permettre de nous en libérer. Un salarié malade dispose d’un droit, celui de cesser temporairement le travail.
Pourtant, bon nombre semble régulièrement y renoncer : des exploitations (2) de l’enquête Conditions de Travail montrent par exemple que plus de 40% des salariés ont renoncé à un arrêt de travail dans l’année, en moyenne pour près de 3 jours. C’est ce que l’on appelle le présentéisme (dans son acception la plus courante), et si le phénomène n’est pas récent donc, il semble toutefois prendre de l’ampleur.
Comment peut-on l’analyser ?
La renonciation à un droit peut se concevoir principalement sous trois angles : la morale, l’intérêt et la contrainte.
- Il n’est nul besoin de construire la tombe d’un pharaon pour se sentir moralement empêché de s’absenter : par responsabilité vis-à-vis de ses collègues, par « devoir » d’exemplarité ou par sentiment légèrement narcissique d’être indispensable, bon nombre de salariés renoncent à l’arrêt. Cette tendance est par ailleurs renforcée parmi les métiers vocationnels, a fortiori auprès de publics en difficulté (le présentéisme est par exemple très répandu chez les soignants) ou parmi les fonctions prescriptives de règles (le management opérationnel, les ressources humaines…). Elle est aussi renforcée par la psychologie du salarié : certains lecteurs pourraient se reconnaître dans le profil du salarié fier de n’avoir encore jamais été absent au travail.
- Renoncer à un droit c’est aussi envoyer un message symbolique qui peut servir l’intérêt bien compris du salarié. Dans un contexte d’absentéisme de grande ampleur (ou supposé l’être), c’est une preuve d’engagement et de professionnalisme que le salarié adresse à son organisation dans l’espoir d’un retour : CDI, titularisation, promotion, préservation de la relation d’emploi…
- Enfin, on ne doit pas exclure que renoncer à l’arrêt se fasse sous la contrainte. D’ordre économique d’abord : l’arrêt maladie reste couteux dans un certain nombre de cas et certains salariés ne peuvent se le permettre. D’ordre social aussi : l’organisation, sous la pression de la production ou de la délivrance du service, redéploie ses contraintes sur ses salariés et peut aller jusqu'à leur suggérer fortement de renoncer à s’arrêter de travailler.
Où est le problème ?
L’absentéisme est un phénomène coûteux et désorganisateur. On ne voit donc pas bien a priori pourquoi une organisation désinciterait ses salariés du présentéisme. Pourtant, le risque de contamination des autres salariés, souligné dans l’histoire de Mr-Shm.t et rappelé lors de l’épidémie de grippe H1N1, n’est pas le seul problème que pose le présentéisme. Promouvoir le présentéisme au travail est mauvais calcul : les présentéistes aujourd’hui pourrait bien être absentéistes demain.
Sur le plan médical, de nombreuses études soulignent que renoncer à l’arrêt conduit, à moyen terme, à les multiplier : arrêts plus longs, pathologies plus sévères, épuisement professionnel sont associés au présentéisme ou à ce qu’il dit de la relation au travail. Sur le plan économique, les pertes de productivité individuelles et collectives, ainsi que l’augmentation du risque d’accidents de travail des salariés présents mais malades grèvent largement l’intérêt de l’entreprise à ce qu’un salarié renonce à l’arrêt. Un salarié souffrant de maux de dos ou de migraine perd environ 40% de sa productivité au travail.
Retour au problème initial : mesurer et analyser
Le fait que l’on ait retrouvé la trace de l’histoire de Mr-Shm.t montre la volonté, déjà, de consigner et probablement de comptabiliser les phénomènes d’absence au travail. De ce point de vue, la réalité est que nous ne faisons souvent guère mieux aujourd'hui : les épisodes d’absence sont consciencieusement enregistrés dans nos systèmes informatiques mais l’information elle même est peu exploitée. Pourtant la technique statistique permettrait facilement d'accéder au stade de l’analyse, d’identifier les tendances, les saisonnalités et les déterminants individuels de l’absence. Elle permet même d’estimer la propension individuelle au présentéisme, phénomène pourtant invisible, et les populations « à risque » dans l’organisation. On ne prétendra pas avec cela régler ces (très) anciennes problématiques. Mais tout au moins, pourrons nous dire que nous nous préoccupons plus de prévention et de qualité de vie au travail qu’il y a 3500 ans.
(1) - Anne Austin, "Accounting for Sick Days: A Scalar Approach to Health and Disease at Deir el-Medina," Journal of Near Eastern Studies 74, no. 1 (April 2015): 75-85.
https://doi.org/10.1086/679412
(2) - S. Hamon-Cholet, J. Lanfranchi (2016) : présentéisme au travail, mesures et déterminants, Dares. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/3-1_hamon_cholet.pdf
L’évaluation, par l’analytique RH, d’un dispositif d’ergonomie
Evaluer pour pérenniser
Une partie des réticences des entreprises à mettre en place des mesures de prévention de l’absentéisme tient en partie à la difficulté à en mesurer les effets. Le coût de ces dispositifs est certain et calculable. Ses effets sont en revanche incertains et difficilement mesurables. Rien de bon pour convaincre un DRH, encore moins un DAF.
Evaluer l’impact d’un dispositif sur un indicateur clef est pourtant une démarche classique de l’analytique RH.
Dans l’exemple qui suit, une collectivité territoriale constatait un niveau d’absentéisme élevé de ces ATSEM, les agents en charge de l’accueil des enfants en école maternelle, mais aussi d’assister les maîtres et maîtresses, … et de nettoyer leur classe. La pénibilité physique de ce métier est connue et génératrice d’absence. Cette collectivité a donc travaillé à sa réduction à travers un dispositif d’ergonomie de l’outil de travail : le nettoyage des classes se fait via un chariot adapté limitant les manipulations de seaux d’eau et les mouvements vers le sol (méthode dite de pré-imprégnation). Via la réduction des TMS notamment, la collectivité espérait une réduction de l’absence et de ses effets sur l’organisation. Qu’en est-il ?
Comment évaluer ?
Pour évaluer l’impact du dispositif, nous avons retenu un indicateur simple : le nombre quotidien d’ATSEM en arrêt « Maladie Ordinaire ». Nous avons observé cette variable pour deux groupes distincts : celui pour lequel le nouveau chariot était déployé (groupe test, ici de taille plus restreinte) et les autres (groupe référence). Pour chaque groupe, l’indicateur d’absence était observé avantla date de mise en place du dispositif, etaprès.
Ces observations sont représentées sur le graphique suivant :
Au regard des effectifs de chacun des groupes, les deux séries correspondent exactement au même taux d’absentéisme (7%), et le démarrage de l’utilisation des nouveaux chariots se situe au jour 200, soit en septembre 2017.
Plusieurs constations peuvent être faites :
-Le groupe de référence a connu une baisse assez importante de son niveau d’absence entre 2016 et 2017 (-3 jours en moyenne, Cf. tableau suivant). Cela se traduit notamment graphiquement par une tendance baissière (voir la courbe de tendance rectiligne associée à la courbe bleue).
-Inversement, le groupe test a connu une hausse de son niveau d’absence (+1 jour en moyenne). Mais dans le même temps on constate, entre 2016 et 2017, une diminution de ce même niveau d’absence sur la période qui suit la rentrée scolaire, c’est-à-dire après le déploiement du dispositif (-2 jours).Graphiquement, cela se traduit par le fait qu’après la rentrée 2017, la courbe (rouge) des absences est quasi-systématiq’uement en dessous de la tendance, alors qu’elle est systématiquement au dessus sur la première partie de l’année 2017 (ainsi que sur la deuxième partie de l’année 2016).
-Le taux d’exposition à l’absence (% d’agents qui ont connu une absence au moins durant l’année) a diminué dans le groupe test. Si ce taux d’exposition reste supérieur à celui du taux observé dans le groupe de référence (conséquence d’une moyenne d’âge plus élevée et d’un taux de sénior plus important), on constate une diminution assez sensible du taux d’exposition dans le groupe test (-3,9 points), alors que celui du groupe référence est resté très stable (-0,2 point).
-Enfin, on constate une diminution de la variabilité de l’absence du groupe (Cf. tableau suivant)
Dans le groupe référence, la variabilité des niveaux d’absence (mesurée par l’écart-type) est stable entre 2016 et 2017. Elle augmente sur la période qui suit la rentrée scolaire, plus fortement encore en 2017. Inversement dans le groupe test, la variabilité a diminué entre 2016 et 2017, très fortement sur la période qui suit la rentrée scolaire.
L’analytique RH permet d’évaluer
Au delà des résultats[GP1] , qui valident le principe de la mise en place de ce dispositif d’ergonomie (moindre coût des consommables, moindre pénibilité du travail, moindre absence),ce qu’il faut retenir c’est la démonstration de la capacité d’un outil analytique RH à permettre l’évaluation objectivée : moyennant une démarche statistique adéquate, l’impact des dispositifs RH sur des indicateurs de performance de la main d’œuvre peut être quantifié et appuyer la décision.
Entrer dans la démarche analytique RH : les données, les données, les données !!
Dans la démarche analytique RH, les données sont la matière première. A ce titre, leur qualité est primordiale. On le dit souvent mais l’exemple suivant l’illustre cruellement…
On le doit à un statisticien, et il porte le nom de son auteur : le quartet d’Anscombe (1978).
Celui-ci imagine 4 séries de données (reproduites ci-dessous). Les observer ne présente qu’un intérêt limité et à moins, tel Néo dans « Matrix », de savoir « lire la matrice », on ne voit guère quelles informations on pourrait en tirer (vous pouvez toutefois essayer…).
Pour tenter de produire de la connaissance, on peut imaginer élaborer quelques statistiques, notamment en établissant une corrélation entre les variables X et Y qui constituent la série.
Toute la force de cet exemple tient au fait que ces statistiques sont exactement identiques pour les 4 séries (tableau ci-dessous). Quelle que soit la série, on devrait donc aboutir à la même conclusion en usant (imprudemment) de la statistique.
Pourtant les relations unissant X à Y sont très différentes, comme l’illustrent cette fois les 4 graphiques ci-dessous.
- Le 1er graphique décrit le cas standard que l’on recherche dans une démarche analytique RH : la relation entre X et Y est vraie, mais imparfaite. Les observations sont dispersées autour d’une tendance centrale que l’analyse statistique vient précisément révéler.
- Le 2èmegraphique illustre une erreur classique : le statisticien a spécifié une relation linéaire, alors qu’elle est en réalité parabolique (ou d’une autre nature). L’erreur est dommageable à double égard : la véritable nature de la relation entre X et Y est ignorée et le modèle perd en qualité.
- Le 3èmegraphique décrit une première conséquence de la prise en compte d’observations aberrantes, résultant potentiellement d’une mauvaise qualité des données : une perte de précision importante et une surestimation de la tendance.
- Enfin le 4èmegraphique illustre la situation la plus grave découlant de données de mauvaise qualité : alors qu’aucune relation n’existe réellement entre X et Y, la présence d’un point aberrant vient créer une « relation fantôme » sur laquelle le gestionnaire pourrait être amené à prendre des décisions sans fondements.
Comment éviter alors de tomber dans de tels écueils ?
- La visualisation des données est outil puissant tant en terme de contrôle de leur qualité (on voit tout de suite les 3 problèmes soulignés ici), que de présentation des résultats. Elle s’intègre de fait naturellement comme une étape importante dans la démarche analytique.
- La prudence, l’attention portée au processus de production et de récupération des données sont indispensables. Quelques données aberrantes peuvent conduire à des conclusions totalement erronées : cultivez votre paranoïa !
De l’intérêt de dépenser pour la santé des salariés
Dans une chronique précédente, j’évoquais la richesse que l’on peut tirer, à partir d’une démarche analytique RH, du croisement des données de santé et des données RH, à travers l’évaluation des dépenses de santé liées à l’absence : les absences des salariés génèrent des dépenses de santé, et il s’agissait d’en évaluer le montant.
Dans le même cadre, on se pose maintenant la question inverse : certaines dépenses de santé, notamment celles associés à des pratiques de prévention, peuvent-elles contribuer à réduire l’absence ?
Si on voit bien l’intérêt d’une telle analyse, il est nécessaire de la mener avec prudence, car une telle évaluation est délicate. En cause notamment, ce que l’on qualifie d’endogénéité : la médication, par exemple, peut certes contribuer à réduire l’absence (elle soigne !), mais la plupart du temps elle est utilisée lors d’une maladie qui, elle-même, peut générer de l’absence. Quand on tente d’évaluer le lien entre médication et absentéisme, on trouve alors souvent que se soigner va de pair avec s’absenter.
Pour contourner ce problème, nous allons nous contenter ici d’évaluer l’effet de pratiques médicales qui relèvent principalement de la prévention, à travers deux exemples illustrés à partir d’un cas d’entreprise : la vaccination (dans le cas présent, principalement antigrippale) et le recours aux médecines douces.
Si les avis sur l’intérêt de la vaccination dans la population active sont assez clivés, les pratiques en termes de vaccination semblent l’être tout autant, comme on peut le voir sur le tableau suivant.
La vaccination, tout d’abord, reste rare : ici, sur une population de près de 3000 salariés (du secteur bancaire, essentiellement des cadres), le taux de couverture vaccinal est à peine de 5%. Mais, surprise, elle est surtout l’affaire des plus jeunes ! La moyenne d’âge des vaccinés est nettement plus faible et la part des moins de 35 ans parmi eux est pratiquement deux fois plus élevée. On constate aussi que les indicateurs de l’absence sont meilleurs chez les vaccinés : fréquence moyenne, durée moyenne et proportion d’absents sont plus faibles. On serait donc tenté d’en déduire une efficacité de la vaccination. Prudence toutefois, à nouveau : la démographie des vaccinés est largement favorable (du fait de l’âge notamment), si bien qu’il n’est pas possible de conclure rapidement sur les causes d’une moindre absence. C’est précisément là qu’intervient la démarche analytique RH : en isolant l’effet de la structure démographique, on identifie l’effet de la vaccination.
Qu’observe-t-on alors ?
Tout d’abord, aucun effet significatif n’est visible sur le nombre d’absences. L’écart initialement constaté entre les deux sous-populations est majoritairement le fait de la démographie. En revanche les absences demeurent plus courtes, de l’ordre de 10%, soit pour faire simple, un jour. C’est ce que semble avoir comme effet la vaccination sur cette population : l’économie d’un jour d’absence. C’est peu pour « réduire l’absentéisme », mais déjà considérable au regard de la dépense négligeable associée à la vaccination.
On peut mener une analyse tout à fait similaire sur d’autres pratiques médicales. On s’intéresse par exemple aux médecines douces (ostéopathie, chiropractie), dont la prise en charge par les entreprises reste encore très variable, faute peut-être justement d’une identification de leurs effets, y compris par les salariés eux-mêmes. Près 80% n’y ont d’ailleurs jamais recours, et seulement 2% y vont plus de 6 fois dans l’année (contre plus de 50% pour les visites chez le généraliste).
A la différence du propos précédent, le recours aux médecines douces est plutôt une pratique de salariés plus âgés.
Par ailleurs, ces mêmes personnes ont des niveaux d’absence plus élevés, ce qui de fait, peut faire douter de l’efficacité de la pratique médicale sollicitée.
Pourtant, elle est efficace. Certes peu si on s’intéresse à l’ensemble des salariés, quel que soit leur niveau d’absence. Mais dès lors qu’on se concentre sur ceux qui ont des absences, le recours aux médecines douces réduit significativement la fréquence et surtout la durée des absences, et ce d’autant plus qu’on y recourt fréquemment. Ainsi un salarié au moins une fois absent dans l’année et qui consulterait un ostéopathe tous les deux mois, réduirait de 20% son volume annuel d’absence, soit en moyenne 4 jours. Certes le coût n’est pas négligeable (environ 50€ par consultation), mais là encore, un rapide calcul économique montre, comme précédemment, l’intérêt de l’entreprise à dépenser pour la santé de ses salariés. L’entreprise consent à dépenser 300€ par an pour accroître sa productivité ce qui, évalué au salaire de ses employés, lui rapporte 5 fois plus.
Ces coûts et bénéfices sont certes cachés, mais c’est là un des intérêts de la démarche analytique RH que de les révéler.
La ministre du travail favorable à la démarche analytique (sans le dire) !
Décidemment très actif sur les questions relatives aux pratiques RH des entreprises, le gouvernement ouvre un nouveau front, celui des inégalités salariales entre les hommes et les femmes (et inversement).
On ne peut pas véritablement dire qu’il s’agisse d’un sujet nouveau mais en revanche les résultats tardent à venir : selon la ministre, on constate toujours un écart salarial important entre les hommes et les femmes, de l’ordre de 25%, ce qui ne semble guère évoluer. D’où l’idée, là encore loin d’être nouvelle, de sanctionner les mauvais élèves (qui pourraient d’ailleurs être tenus de porter le bonnet d’âne par le principe du « name and shame ») pour récompenser les meilleurs.
Je n’entends pas rabaisser l’intérêt de la question, ni même contester les modalités de la sanction. Mais plutôt m’interroger sur ce qui semble a priori le plus simple à mettre en œuvre : le constat des inégalités salariales.
Comment diagnostiquer des inégalités de salaire ?
A priori rien de complexe : il suffit de prendre un indicateur synthétique des niveaux de salaires (la moyenne semble pouvoir faire l’affaire), et de le calculer pour les hommes et les femmes. C’est d’ailleurs ce qui conduit l’Insee au chiffre avancé par la ministre.
Le problème c’est que rien ne garantit qu’une telle démarche mette en évidence de véritables écarts salariaux qu’il faudrait rattraper.
Pour le montrer, observons simplement le tableau de synthèse des données salariales d’une entreprise, présenté ci-dessous.
Le premier constat (les 3 dernières lignes) semble sans appel : les hommes perçoivent tous postes confondus un salaire 30% supérieur à celui des femmes, ce qui place cette entreprise au-delà de l’écart salarial moyen et devrait donc en faire un cas emblématique de ce que le gouvernement entend précisément combattre.
Pourtant en y regardant d’un peu plus près (cette fois par classe d’emploi), on s’aperçoit que les écarts de rémunération par catégorie sont très faibles, voire même plutôt à l’avantage des femmes (à l’exception de la classe 6). Concrètement, il n’y a aucun rattrapage à mener, et accroître le salaire des femmes conduirait ici à générer des inégalités (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire, notamment, comme le souligne la ministre, concernant l’accès des femmes à certains métiers).
Partant de là, notre ministre s’est bien gardée d’annoncer vouloir réduire l’écart salarié tous postes confondus, et vouloir se concentrer sur la réduction des écarts à poste identique. La précaution est importante mais encore insuffisante : il faudrait dire à poste, ancienneté, professionnalisme… identiques. Ce que l’on appelle brièvement une analyse « toutes choses égales par ailleurs ».
En un mot, ce que propose la ministre serait ni plus ni moins que l’application d’une démarche analytique RH à la question des écarts de salaire. Je ne peux que m’en réjouir car c’est effectivement le seul moyen de les diagnostiquer. Mais je ne peux également que m’interroger : s’il est déjà assez peu probable que les entreprises elles-mêmes mènent ces analyses, je vois encore moins comment l’Inspection du Travail pourrait aller vérifier l’existence d’écarts salariaux. L’analytique RH est le bon outil ; il réclame toutefois à minima des données si on veut en faire l’arme de la décision.